Nouveau monde
Par Alfred Pacquement,Directeur du musée national d'art moderne
Parmi les avant-gardes européennes, le mouvement De Stijl constitue une clé de lecture pour la compréhension des sources du mouvement moderne au 20e siècle. Malgré le rayonnement artistique de ses acteurs, parmi lesquels ses fondateurs Piet Mondrian, Theo Van Doesburg et Gerrit Rietveld, cette « plate-forme » d'avant garde n'avait jamais fait l'objet d'une grande rétrospective en France. Le Centre Pompidou consacre, à partir du mois de décembre, une exposition inédite à cet instant crucial qui vit naître la modernité à travers les parcours croisés de sa figure magistrale, Mondrian, et du mouvement De Stijl.
C'est en 1918, une année après la fondation officielle du groupe et la publication du premier numéro de la revue qui diffuse et rend publique la doctrine du mouvement, que les créateurs du Stijl synthétisent leur vision esthétique et sociale commune : le premier manifeste appelle à un nouvel équilibre entre l'individuel et l'universel et milite pour la libération de l'art des contraintes du culte de l'individualisme. Le Stijl, vision utopique et engagement dans la production du réel du monde industriel, prend ses sources à la fois dans la philosophie de Spinoza et dans le mouvement théosophique alors largement répandu en Hollande. Autour des trois figures centrales, Mondrian, Van Doesburg et Rietveld, le noyau originel du mouvement est riche d'autres membres : les peintres Bart Van der Leck, Georges Vantongerloo et Vilmos Huszar, les architectes J.J.P. Oud, Robert van't Hoff et Jan Wils, le poète Anthony Kok, rejoints ensuite par le graphiste Piet Zwart et l'architecte urbaniste Cornelis
Van Eesteren.
Durant les quatorze années de son existence, le mouvement transdisciplinaire offre une transcription formelle, plastique, picturale et architecturale des principes d'une harmonie universelle, et la met en oeuvre. La peinture, la sculpture, la conception de mobilier et le graphisme, l'architecture et bientôt l'urbanisme sont les supports de cette expérimentation conduite simultanément. Pluridisciplinaires, les productions du Stijl le sont par nature, outrepassant les cloisonnements traditionnels et académiques entre arts majeurs et mineurs, entre arts décoratifs, architecture et urbanisme : « de l'esprit à la ville ».
La spatialité de l'oeuvre d'art passe progressivement du statut de support d'analyse du monde à celui d'agent de construction de l'environnement social et politique de la ville. À ce titre, elle constitue une expérience du monde, elle ordonne le monde et donne corps à la communauté ; elle configure et rend possible l'équilibre entre l'individuel et le collectif, entre le rationnel et le sensible, entre le savoir et le faire, entre le spirituel et le matériel. Il s'agit en priorité pour le Stijl d'inventer un langage formel qui répond aux enjeux de la société industrielle au lendemain de la Première Guerre mondiale et de tracer les stratégies de mise en oeuvre d'un nouvel ordre sociétal. La méthode de cette vision est le néoplasticisme. Il s'agit, dans un premier temps, de radicaliser l'approche des avant-gardes contemporaines : « Les cubistes, disait Mondrian, refusent les conséquences de leur propre révolution plastique. La sensibilité moderne ne peut se réduire à l'intégration de multiples points de vue, elle doit tendre vers une langue plastique directement universelle et rationnelle ». Van Doesburg milite quant à lui pour « l'élaboration au sujet des arts plastiques des principes fondamentaux élémentaires et intelligibles par tous ». C'est par l'usage strict des couleurs primaires (bleu, jaune, rouge), du blanc et du noir appliqués en aplat, de lignes droites et orthogonales, par la limitation des formes et la géométrisation des volumes que les créateurs du Stijl inventent une grammaire formelle. L'élémentarisation du lexique formel et les proportions dynamiques repoussent les limites du tragique et donnent lieu, in fine, à une esthétique projetée comme universelle.
À Paris, un artiste qui sera l'une des figures centrales du mouvement, Mondrian, découvre le cubisme de Picasso et abandonne la peinture divisionniste ou fauve de ses débuts, marquée par des sources théosophiques ou spirituelles, pour entreprendre la recherche d'un « langage pictural universel ». Entre 1912 et 1920, il mène progressivement le cubisme jusqu'au néoplasticisme (la Nouvelle Plastique abstraite), et passe de « la réalité naturelle à la réalité abstraite ». Avec cette analyse et en décomposant la forme, il aboutit à la plastique pure, fondée sur l'établissement de rapports entre des surfaces colorées, selon une logique d'harmonie et d'équilibre. Cette dialectique horizontal/vertical, où les couleurs pures (bleu, rouge, jaune) se juxtaposent aux non-couleurs (noir, blanc, gris) dans une géométrie combinatoire, qui abolit la perspective, permet d'infinies variations. Sur ce principe, Mondrian crée, entre 1912 et 1938, une centaine de peintures, avec lesquelles il met en place sa théologie du néoplasticisme.
« Tout se compose par relation et réciprocité. La couleur n'existe que par l'autre couleur, la dimension par l'autre dimension, il n'y a de position que par opposition à une autre position. » Le tableau est ouvert et apparaît comme un fragment d'un ensemble plus vaste, portant vers un monde de métaphores. L'horizontale évoque la terre, la mer, le principe féminin ; la verticale rappelle l'arbre, le principe masculin, etc. La division de la toile en quadrilatères entre en rapport avec le cadre de l'oeuvre, avec le mur où il se trouve, avec la pièce, avec la cité. Le néoplasticisme est un monde exact qui lie l'ordre pictural à une utopie sociale, spirituelle et poétique.
Dans son atelier du 26, rue du Départ, à Montparnasse, traité comme un tableau, comme un espace d'art total, Mondrian vit sobrement et mène une activité qui conjugue des entreprises théoriques, éditoriales et commerciales, pour défendre son idéal néo-plastique et activer ses réseaux artistiques. En 1915, cet atelier sera le lieu de sa rencontre décisive avec Theo Van Doesburg. Mondrian côtoie tous les artistes qui comptent (les Delaunay, les Arp, Jean Hélion, Mallet-Stevens, Pierre Chareau et Le Corbusier, les cubistes, les futuristes, les constructivistes, les artistes dada et les abstraits…) et accueille de jeunes artistes, comme Calder venu spécialement à Paris en 1930 pour le rencontrer. À Paris, il trouve ses premiers collectionneurs, ses premiers disciples et critiques. Le 26, rue du Départ devient le point de référence d'un monde nouveau, le « poème de l'angle droit » (Le Corbusier), qui subordonne l'individuel à l'universel. L'exposition, qui montre les peintures et les dessins créés par Mondrian à Paris, reflète le bouillonnement artistique engendré par sa présence et son entreprise radicale.
« Tout se compose par relation et réciprocité. La couleur n'existe que par l'autre couleur, la dimension par l'autre dimension, il n'y a de position que par opposition à une autre position. » Le tableau est ouvert et apparaît comme un fragment d'un ensemble plus vaste, portant vers un monde de métaphores. L'horizontale évoque la terre, la mer, le principe féminin ; la verticale rappelle l'arbre, le principe masculin, etc. La division de la toile en quadrilatères entre en rapport avec le cadre de l'oeuvre, avec le mur où il se trouve, avec la pièce, avec la cité. Le néoplasticisme est un monde exact qui lie l'ordre pictural à une utopie sociale, spirituelle et poétique.
Dans son atelier du 26, rue du Départ, à Montparnasse, traité comme un tableau, comme un espace d'art total, Mondrian vit sobrement et mène une activité qui conjugue des entreprises théoriques, éditoriales et commerciales, pour défendre son idéal néo-plastique et activer ses réseaux artistiques. En 1915, cet atelier sera le lieu de sa rencontre décisive avec Theo Van Doesburg. Mondrian côtoie tous les artistes qui comptent (les Delaunay, les Arp, Jean Hélion, Mallet-Stevens, Pierre Chareau et Le Corbusier, les cubistes, les futuristes, les constructivistes, les artistes dada et les abstraits…) et accueille de jeunes artistes, comme Calder venu spécialement à Paris en 1930 pour le rencontrer. À Paris, il trouve ses premiers collectionneurs, ses premiers disciples et critiques. Le 26, rue du Départ devient le point de référence d'un monde nouveau, le « poème de l'angle droit » (Le Corbusier), qui subordonne l'individuel à l'universel. L'exposition, qui montre les peintures et les dessins créés par Mondrian à Paris, reflète le bouillonnement artistique engendré par sa présence et son entreprise radicale.
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